“J’étais bien souvent dans le “bottom twenty”! Heureusement, j’ai pu compter sur les autres étudiants, qui sont devenus mes amis, pour me booster.”
Alumni |École Centrale d’Électronique de Paris
Programme | Master en systèmes embarqués
Obtention | 2009
Ville de résidence | Kep-sur-Mer
Ce qui te faisait avancer étudiant, et encore aujourd’hui ?
L’ambition, mais aussi une certaine peur de l’échec. Je me suis fermé quelques portes en ne travaillant pas beaucoup durant ma scolarité, et j’aurais dû me renseigner davantage sur les débouchés. Je me suis rendu compte, avec le temps, que ceux qui ont un objectif clairement défini progressent parce qu’ils savent où ils vont.
Le poivre qu’il cultive a beau être prisé par Alain Ducasse et garnir les tables des grands palaces français, rien ne semblait destiner l’ancien étudiant inclinant côté radiateur à devenir entrepreneur. Tout comme le village de Kep-sur-Mer où il est aujourd’hui établi détonne de sa Picardie natale, l’exploitation de Norbert dans la jungle cambodgienne a de quoi bouleverser quelques prophéties. Fondée en 2014, non loin de Phnom Penh, son entreprise Fair Farms fut l’occasion pour lui de renouer avec « une âme paysanne familiale », et de se débourber des sphères de la finance singapourienne, peu raccord avec ses aspirations profondes – « mon père connaissait la rudesse du monde agricole par son propre père, et m’a poussé vers des études d’ingénieur, comme lui ! » Première coopérative certifiée bio et équitable au Cambodge pour sa responsabilité sociale et environnementale, Norbert se refuse à écouler le moindre grain sur place afin de ne pas léser le producteur voisin. Logés dans des habitations construites pour l’occasion, ses collaborateurs œuvrent sous l’égide du modèle social français, avec tout ce qu’il comporte de confort ajouté : « Contrat de travail comprenant des congés payés, des congés maternité, et une assurance santé – je suis très attaché au respect des hommes et de leur environnement. » Ne rechignant jamais à porter la main à la terre, malgré la langue et ses barrières, Norbert a su entretenir ce côté fédérateur un peu boute-en-train, reliquat de ses années à la vice-présidence du BDE de l’École centrale d’électronique de Paris.
Après un baccalauréat scientifique obtenu sur le fil du rasoir, il intègre l’ECE, mais le délégué de classe s’y distinguera davantage par son goût des saturnales que par une discipline monacale : « J’étais bien souvent dans le “ bottom twenty ” ! Heureusement, j’ai pu compter sur les autres étudiants, qui sont devenus mes amis, pour me booster. C’est vraiment une bonne école dans laquelle je me sentais intégré, avec des enseignants capables de percevoir le potentiel au-delà des notes. En fait, j’y ai surtout appris à apprendre, et cela m’a servi toute ma vie. » Aspirant à voyager au long cours, il agrémentera son cursus par des stages tous azimuts en Asie : en Inde, au Vietnam, mais aussi à Pékin, où il se posera quelque temps avec des camarades, parmi lesquels sa future compagne. Aussitôt le spécialiste des passages ric- rac décroche-t-il son master en systèmes embarqués, que fidèle à son côté têtu et hyperactif, il brûle ses vaisseaux, et presque à l’improviste, réactive d’anciennes connexions pour intégrer une fintech dans la luxuriante cité-État de Singapour et travaille même avec la bourse de New-York.
Le déclic opérera lors d’une escapade à Macao, où entre autres anecdotes, lui seront évoquées les opportunités du Cambodge et notamment les « joyaux de Kâmpôt ». Cogitant son idée, Norbert développe son érudition sur un poivre dont il ne se délectait guère — « depuis, j’en raffole ! C’est le premier au monde à bénéficier d’une AOP. »
Multipliant les visites en terre khmère, il échafaude un business plan, et une fois les investisseurs convaincus de la viabilité de son projet « un peu fou », la veille de son trentième anniversaire, il fait l’acquisition de neuf hectares de terrain. Après trois années de patience, il noue un partenariat humanitaire avec l’école du Bayon, une ONG qui s’investit pour l’éducation des enfants, et qui fera « basculer » sa vie. Chemin faisant, Norbert multiplie les rencontres décisives : « Je crois au karma, j’ai donc toujours un peu de poivre sur moi, au cas où… Et la carte postale de ma mère, affichée dans mon bureau, qui rappelle l’importance d’être à la hauteur de son ambition. » Désormais leader français sur ce créneau en plus de s’être diversifié dans la vanille, approvisionnant de nombreuses enseignes bio, c’est en parallèle de son poste de directeur des ventes au sein de Farmforce, PME norvégienne spécialisée dans la traçabilité du premier kilomètre effectué par les denrées alimentaires, qu’il s’attèle à un chantier pharaonique : un sanctuaire végétal de mille hectares conjuguant régénération des sols par l’agroforesterie et protection des abeilles : « Le but est d’aider au développement local et que cette initiative devienne un modèle de préservation pouvant être répliqué. » Une constante planétaire que Norbert a toujours su couver, car au pays d’Angkor ou bien ailleurs, comme tous les gens du Nord, il transporte dans le cœur ce soleil qu’il n’avait pas dehors.
Portrait écrit © Maison Trafalgar | Dessin aquarelle © Maison Trafalgar & Camille Romanetto
Mis à jour le 10 novembre 2022